"ABBA, l'album des 50 ans", histoire de la fabrication d'une VF

Christine Laugier

#traduction, #VF, #VF, #édition, #musique, #bonnespratiques

Quelle méthode pour traduire un livre sur la musique |Étude de cas avec "ABBA, l'album des 50 ans", ma dernière traduction pop

C'est la lecture d'un post d'Harmonie Blondel Henderson sur Linkedin qui m'a donné l'idée de cet article. Elle y évoque deux façons d'aborder la traduction : traduire façon premier-jet-approximatif ou traduire façon premier-jet-presque-parfait. 
Alors à l'occasion de la sortie du livre "ABBA, l'album des 50 ans", le 5 octobre 2022, j'ai eu envie de revenir sur ma méthode de travail pour traduire ce texte. Quelles étapes avant de me lancer dans sa traduction ? Comment je m'y prends pour adapter un texte dans une autre langue ? Pourquoi je me sens davantage autrice de traduction que simple traductrice? Et pourquoi traduire consiste, selon moi, à écrire et réécrire ? 

                      


Traduire un livre, ça commence par se documenter

Lire, c'est la première chose que je fais lorsque je reçois un nouvel ouvrage à traduire. De la première à la dernière page, je lis l'ensemble de l'œuvre avant de me lancer dans sa traduction.


Lire pour bien traduire

Ce moment de lecture a pour but de découvrir plus en profondeur le sujet de l'ouvrage, mais aussi de faire connaissance avec son auteur. J'entends par là mieux cerner son style, la qualité de sa plume, le ton adopté et ses petites manies d'écriture.
Dans le domaine des livres
sur la musique rock ou pop, je constate souvent que le niveau de langue s'apparente plutôt à une langue parlée, parfois même très fleurie et jargonnante.
L'enjeu est de trouver des équivalences acceptables pour le lecteur français. Il me faut donc créer un bel équilibre entre expressions familières, mais châtiées, tirées de la langue parlée et une langue écrite plus soutenue, plus convenue et convenable pour des ouvrages vendus en librairie.


Faire des recherches sur le contexte musical et social

Pour mener à bien ma traduction, il faut aussi que je maîtrise parfaitement le sujet traité. D'où la nécessité de mener des recherches :

  • Qui sont vraiment Agnetha, Bjorn, Benny et Anni-Frid ? 
  • Quelle est l'histoire du groupe ABBA ?
  • Quels sont les temps forts de sa discographie ?
  • Quels concerts ont marqué son histoire ?
Le fait de collecter ces informations me permettra de vérifier les faits et autres informations évoqués par l'ouvrage original. Et cette vérification n'est pas du luxe, vous n'imaginez pas le nombre de données erronées figurant dans des livres pourtant publiés.

Il me faut aussi connaître le vocabulaire spécifique à la musique rock ou pop, au monde des concerts et des tournées.

Bref, tout un univers marqué par une culture anglo-saxonne forte, par une grande diversité de métiers techniques souvent pointus (arrangeurs, producteurs, ingénieurs du son...), par un jargon puissant, souvent très évocateur en anglais mais qui perd de son authenticité et de son naturel lorsqu'on se risque à le traduire.
Selon moi, mieux vaut éviter toute traduction ridicule et éculée du type : machinistes itinérants pour roadies ! Ce genre d'adaptation pourrait faire fuir les lecteurs, grands fans du groupe ou du genre musical en question.


Il faut aussi se plonger dans un contexte historique et social particulier pour comprendre dans quel monde le groupe a évolué. Pour "Abba, l'album des 50 ans" j'ai lu pas mal d'articles sur la Suède des années 1970. Et j'ai découvert que ce pays permet à ses jeunes d'accéder très tôt à la musique et à la pratique d'un instrument grâce à des écoles municipales. Il compte aussi le plus grand nombre de chorales par habitants. Pas étonnant alors que la Suède soit le troisième producteur de musique dans le monde juste après les USA et le Royaume-Uni.


Écouter tous les tubes du groupe pour écrire des textes qui swinguent vraiment


Dernier point, non négligeable : pour écrire une bonne traduction sur Abba, comme sur tout autre groupe de pop ou de rock, il est indispensable d'écouter leur musique et de bien la connaître.
Sans cela comment traduire correctement les passages qui décrivent la genèse mais aussi la construction et la composition des tubes (et ils sont nombreux !) du groupe ABBA !

J'ai donc passé plusieurs heures à écouter leur musique si unique. Et cela m'a fait nager dans le plus grand bonheur. Pourquoi ça ? Et bien parce que la musique d'Abba rend heureux. En 2015, un chercheur en neuroscience, Jacob Jolij a d'ailleurs classé Dancing Queen à la deuxième place des
chansons qui nous rendent les plus heureux.


Si le traducteur est un auteur, la traductrice est donc une autrice

Outre le clin d'œil adressé ici à tous ceux et celles qui développent une forte allergie au terme autrice, j'insiste sur le fait que lorsque je traduis, je suis considérée par la loi comme une autrice.

Mes traductions sont des œuvres originales dans le sens où elles sont uniques et distinctes de toute autre traduction possible. Elles sont le résultat d'un travail de création, de libre expression. À ce titre, je suis bien plus qu'une traductrice, je suis une autrice. Je signe d'ailleurs un contrat de droits d'auteur qui me lie à une maison d'édition le temps de ma mission.


Traduire bien plus que des mots 

Alors, il est,certes, important de maîtriser la langue source mais il faut aussi disposer d'une excellente maîtrise de sa langue maternelle. C'est mon aisance à manier le français qui me permet de rendre compte des subtilités linguistiques mais aussi culturelles de la version originale du bouquin.

Ma mission consiste en effet à transposer des contenus pour les rendre accessibles à des lecteurs français, du point de vue de la langue bien sûr, mais surtout culturellement. C'est pourquoi il est parfois nécessaire d'ajouter quelques notes du traducteur en bas de page pour expliquer un point particulier. À d'autres moments, il faudra trouver une autre référence que celle utilisée par l'auteur original afin de faciliter la compréhension du lecteur. Le plus difficile étant la traduction des jeux de mots qui nécessitent une sacrée gymnastisque de la part du traducteur ou de la traductrice.


Ma méthode de traduction 

Pour ma part, lorsque je traduis un livre comme "Abba, 50 ans de succès", j'emploie plutôt la méthode du permier-jet-presque-parfait. C'est-à-dire que je ne procède pas à une première traduction de type littéral mais que je me lance tout de suite dans un travail poussé d'adaptation du texte.

Choisir ma voix pour faire entendre celle de l'auteur

Après avoir lu le texte original dans sa totalité, je réfléchis à la tonalité que je vais adopter pour restituer l'esprit du contenu original, le style de l'auteur, mais aussi pour coller à la charte éditoriale de la maison d'édition qui m'a confié cette traduction.

À cette étape de la traduction, c'est comme si je me dédoublais : je suis à la fois celle qui écrit en français, mais aussi celle qui écrit à partir des mots rédigés par une autre personne dans une langue étrangère. Je me fais sa voix, en tout cas je fais en sorte de le devenir. Mes mots sont à la fois les miens et les siens. Je sais, ça paraît bizarre et quelque peu inquiétant, mais rassurez-vous ce dédoublement de personnalité se cantonne strictement au domaine professionnel, en tout cas à ce jour.


Réécrire pour effacer toute trace de traduction

Une fois le premier-jet-presque-parfait rédigé, j'entame une phase de relecture qui s'accompagne généralement de réécriture des passages ne me donnant pas entière satisfaction. L'idée c'est de ne pas coller au texte original tout en lui restant fidèle. Un sacré numéro d'équilibriste, j'en conviens, mais c'est ce qui fait le sel de ma vie de traductrice !

L'idée consiste finalement à effacer toute trace de traduction. Le texte créé à partir du livre original doit sonner parfaitement français. Ma mission ? Faire oublier qu'il a, au départ, été écrit dans une autre langue. Les phrases doivent donc réunir fluidité et clarté, la langue utilisée doit être riche, variée et accessible.

Et c'est ce travail sur la langue (la mienne et la langue originale) qui me plait tant dans mon métier de traductrice-créatrice-autrice de la VF des beaux-livres qui me sont confiés. 

Pour découvrir "Abba, l'album des 50 ans ", c'est par là.

Et si vous avez besoin d'une plume alerte pour traduire vos contenus,
faites-moi signe !




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